La rédaction de CLS a rencontré Bruno Chazal, représentant de la France auprès de l’organisation internationale Cospas-Sarsat et Président du Conseil de l’Organisation.
Cospas-Sarsat, c’est LE système de détection et de localisation par satellite de balises de détresse, qu’elles soient aéronautiques, maritimes ou terrestres, à des fins de recherche et de sauvetage. Opéré et développé par l’organisation internationale éponyme qui regroupe 43 pays et 2 organisations, son rôle est capital : le système a permis de sauver 52 000 vies depuis sa mise en service au cours de près de 16 000 événements de détresse dans le monde entier.
Mais d’abord, un peu d’histoire
En 1988, c’est encore la guerre froide. Pourtant, une organisation remarquable va voir le jour sous l’impulsion de 4 pays fondateurs. Le Canada, la France, les Etats-Unis et l’URSS décident ensemble de la création d’un système inédit de recherche et de sauvetage par satellites. Plus de 30 ans d’opérationnalité sous l’autorité d’un Conseil dont la France assure la présidence depuis juillet 2020.
CLS : Bonjour Bruno Chazal. Tout d’abord merci infiniment de nous accorder ce temps si précieux. Pourriez-vous nous parler de votre rôle au sein de Cospas-Sarsat ?
Bruno Chazal : Parmi mes activités, je représente la France au sein de l’organisation internationale Cospas-Sarsat depuis cinq ans et demi. L’organisation est constituée par les « Parties », les 4 pays fondateurs : la Russie, les Etats-Unis, le Canada et la France, ainsi que par 41 autres pays et organisations. J’ai été nommé à ce poste par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) qui a désigné le CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) comme « organisme coopérateur » auprès de Cospas-Sarsat. Pour autant, la délégation française que je pilote est constituée, en plus du CNES, de la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) et de la Direction des Affaires Maritimes (DAM), les administrations « utilisatrices » qui dirigent également le centre de contrôle mission français de Cospas-Sarsat (FMCC).
Je travaille évidemment très étroitement aussi avec le MEAE, en particulier sur les questions diplomatiques et de gouvernance de l’organisation. Il s’agit donc d’un rôle très international articulé avec des activités préparatoires menées tant en interne CNES qu’en interministériel dans le but de prendre les décisions nécessaires à l’organisation et de lui donner les directions nécessaires à son efficacité et à son avenir, et ce en cohérence de la politique nationale dans les secteurs concernés.
La France, avec le CNES, est en effet un acteur historique et majeur du programme. Son rôle s’exerce tant au niveau de la gouvernance et de la programmatique, que de la technique et des opérations. C’est ce double rôle qui lui confère une place particulièrement importante au sein de Cospas-Sarsat et sur la scène mondiale de la recherche et du sauvetage. Il s’agit d’un statut essentiel au regard de l’importance de l’aviation civile nationale et de celle des questions maritimes eu égard à l’étendue du domaine maritime national, le deuxième dans le monde.
Depuis juillet 2020, j’assure également les fonctions de Président du Conseil de l’organisation Cospas-Sarsat. C’est une position de choix pour donner des priorités et faire émerger des décisions, par des négociations bilatérales et multilatérales, et par la proposition de voies pertinentes pour l’organisation et pour les systèmes qu’elle opère et développe. Le sujet est passionnant car l’organisation vit, depuis plusieurs années, une période particulièrement active avec nombre d’évolutions et de défis à relever.
CLS : Peut-on parler d’éloge de la diplomatie ?
Bruno Chazal : Je dirais de la « diplomatie technologique » tant les choix technologiques et systèmes, ainsi que les choix stratégiques y sont imbriqués.
La diplomatie est au cœur de tout le relationnel déployé dans mes fonctions. Elle est propre aux relations internationales en général, mais aussi à l’essence même de Cospas-Sarsat, de son histoire et de sa finalité particulière. Elle requiert beaucoup d’énergie, de dynamisme, mais également d’écoute, pas mal d’imagination aussi et de force de conviction, car le mode décisionnel est celui du consensus qui doit déjà être atteint entre les quatre pays fondateurs.
Il me semble important de rappeler que cette organisation a traversé de multiples crises politiques entre les blocs de l’Est et de l’Ouest, pendant la guerre froide, sans qu’elle en soit affectée. Elle est ainsi restée une vitrine diplomatique mais aussi un lien édifié autour de l’objectif partagé de sauver des vies humaines. Elle revêt ainsi une caractéristique, celle de la recherche partagée de l’intérêt collectif. Pour autant, les points de vue techniques tout comme les contraintes opérationnelles de chaque pays peuvent différer. Il peut en être de même des positions diplomatiques.
En somme, les voies pour satisfaire l’intérêt collectif peuvent être multiples et l’enjeu est de parvenir in fine à leur convergence. Cospas-Sarsat est en cela un terrain privilégié de la diplomatie.
CLS : Venons-en maintenant si vous le permettez au fonctionnement du système. Que se passe-t-il quand une balise émet un signal de détresse ?
Bruno Chazal : Quand une balise est activée, elle envoie un message de détresse à la fréquence de 406 MHz via le système satellitaire Cospas-Sarsat qui est ensuite capté par les antennes du segment sol, réparties sur toute la surface du globe. Chaque centre de contrôle mission Cospas-Sarsat traite les données reçues par ses propres antennes pour identifier la balise et déterminer sa localisation, et partage cela avec d’autres centres de contrôle mondiaux, notamment celui du pays où est enregistrée la balise et celui dont relève le lieu de la détresse. In fine, le dossier est transmis au centre de coordination des secours le plus pertinent. La mission de Cospas-Sarsat s’arrête alors.
CLS : Voulez-vous nous expliquer le rôle de CLS ?
Bruno Chazal : CLS opère le centre de contrôle français de la mission Cospas-Sarsat (FMCC), hébergé au sein du CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) à Toulouse, un centre de contrôle sous responsabilité de la Direction des Affaires Maritimes (DAM) et de la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC).
CLS gère ainsi les situations d’assistance immédiate du FMCC, travaille en collaboration avec les autres centres de contrôle mission mondiaux et, le cas échéant, transmet les alertes aux Centres de Coordination et de Sauvetage (RCC) susceptibles d’intervenir. Les équipes CLS sont missionnées par l’administration française et collaborent également avec le CNES.
24 heures sur 24, 8 experts des équipes CLS gèrent la réception des alertes, analysent précisément les signaux reçus, en interaction avec les équipes opérationnelles d’autres centres de contrôle mission et sont amenées à transmettre aux centres de secours les signaux de détresse validés par leur analyse, avec les informations utiles aux opérations de sauvetage, notamment l’information de localisation de la détresse. Un travail pour lequel les valeurs ajoutées sont la technicité, la réactivité et le sens du discernement, donc l’expérience.
CLS : Un système mondial de recherche et de sauvetage, donc d’intérêt public qui a déjà sauvé des dizaines de milliers de vies, une mission au service de la France qui contribue au rayonnement de notre diplomatie partout dans le monde. Une magnifique réussite internationale.
Mais dites-nous, Bruno Chazal, quelles sont les évolutions du système ? La rédaction de CLS s’est laissé dire que sous votre présidence le système Cospas-Sarsat a pris une nouvelle dimension ?
Bruno Chazal : Disons plutôt que ma présidence, comme la précédente, intervient à une période clé pour Cospas-Sarsat, et sans doute la plus active et passionnante, si j’exclue celle de la création du système par les pionniers du programme dès la fin des années 70. Car avant la formalisation de l’organisation internationale en 1988, le système était déjà initié sur la base d’une coopération entre organismes étatiques, dont le CNES. Pour revenir à une période plus récente, 2016 fut une année charnière, une année d’innovation pour le programme avec l’intégration des charges utiles Search and Rescue (SAR) embarquées sur les satellites des constellations GPS, Galileo et Glonass en orbite moyenne, dans le nouveau système MEOSAR (Medium Earth Orbit Search and Rescue) de Cospas-Sarsat. Ce système vient ainsi enrichir les systèmes LEOSAR (Low Earth Orbit Search and Rescue) et GEOSAR (Geostationary Orbit Search and Rescue).
Avec l’entrée dans la ronde des charges utiles MEOSAR, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour Cospas-Sarsat : la capacité à fournir une localisation précise des balises en quasi-temps réel et avec une couverture mondiale. Le système est donc entré en opérations et le segment sol est actuellement en cours de mise à jour afin de lui conférer toute sa potentialité, en termes de couverture et de performance. Un apport remarquable auquel le service SAR Galileo porté par la Commission Européenne contribue significativement, avec également, désormais, la fourniture d’un voie retour vers la balise qui permettra d’accuser réception du signal de détresse par le système. Des services nouveaux, non encore opérationnels, sont également en cours de discussion, telle la capacité d’échange de messages avec la personne en détresse. Je pense que ces axes sont également importants pour l’évolution du système.
Enfin, en marge du MEOSAR, les gros challenges pour Cospas-Sarsat sont la finalisation des balises ELT(DT) – balises aéronautiques pour le distress tracking – qui permettront de répondre aux besoins de l’OACI (organisation de l’aviation civile internationale), exprimés suite aux tragédies des vols Rio – Paris AF447 et MH370 de la Malaysia Airlines. Le but est de spécifier et développer des balises qui se déclencheront sur la base de paramètres de vols considérés comme anormaux afin de suivre l’avion dès ce déclenchement, et non plus au moment de l’impact au sol ou en mer. Il s’agit également de mettre à jour l’ensemble du segment sol du système afin de pouvoir traiter ces balises. Les balises de 2ème génération vont également constituer une avancée notable, pour l’ensemble des usages cette fois, avec des capacités de codage accrues et des précisions de localisation encore améliorées.
Le caractère intergouvernemental de Cospas-Sarsat lui confère une légitimité qui, associée à la robustesse de son système et notamment de son réseau sol maillé, lui donne une place unique dans le domaine de la localisation des détresses et de leur transmission aux autorités de recherche et de sauvetage.
CLS : Et si l’on devait revenir sur un sauvetage récent, lequel retiendriez-vous ?
Bruno Chazal : Sans hésitation celui de Kevin Escoffier sur le dernier Vendée Globe avec une remarquable chaîne de secours qui a été mise en œuvre alors que son bateau venait de sombrer sous les latitudes peu clémentes des 40èmes rugissants le 30 novembre dernier.
Un heureux dénouement puisque Kévin Escoffier a pu être récupéré sain et sauf par Jean Le Cam, autre concurrent du Vendée Globe. Une balise déclenchée, seul lien à la vie à un moment crucial et point de départ d’une suite humaine extraordinaire.
Vous savez, ce sont sept vies en moyenne qui sont secourues chaque jour grâce à Cospas-Sarsat et, au-delà de cet évènement médiatisé, des femmes et des hommes se mobilisent au quotidien dans des chaines humaines similaires qui s’organisent et se déploient pour sauver des vies, jusqu’aux sauveteurs qui œuvrent sur le terrain pour mener à bien cette mission.
Bruno Chazal Bio
Ingénieur passé par CentraleSupélec, c’est vers Boston que Bruno Chazal s’envole plus tard pour étudier le business et le management à la prestigieuse Harvard Business School dont il est diplômé et où il rencontre des personnalités marquantes. Après un début de carrière dans le corps des ingénieurs de l’armement où il conduit des études techniques dans le cadre de coopérations internationales, des projets et des activités de développement économique au sein de différents ministères, c’est en 2001 qu’il rejoint le spatial et le CNES pour s’occuper de R&D, puis assurer des responsabilités de programmes et celle de la politique industrielle. Il a également mis en place et coordonné au sein du CNES la préparation de la programmation spatiale française à l’ESA pour trois ans, arrêtée lors du conseil ministériel européen de fin 2019. Son inclination pour les relations internationales, les questions stratégiques et les valeurs humaines l’a conduit à rejoindre Cospas-Sarsat fin 2015.
Bruno Chazal aime la mer, la montagne, l’aéronautique et le spatial. Adepte de méditation et de yoga, il affectionne également la musique, la photographie et la littérature, notamment la poésie. Il est l’heureux papa de 3 enfants qu’il a élevé en garde alternée depuis leur plus jeune âge.