Aymeric Chandouineau, Analyste Imagerie Spatiale à CLS, prend quelques secondes pour évaluer une tempête solaire qui vient compliquer ce matin son quotidien, avant de nous parler de ses missions. Dans son métier d’analyste, le temps est l’un de ses principaux défis et son objectif est clair : protéger notre planète.
Sa capacité à comprendre, à interpréter, et à faire parler les images satellitaires est essentielle pour la surveillance maritime, il agit comme un pont vital entre de grandes institutions européennes et nationales dans leur lutte quotidienne contre la pollution par hydrocarbures et tous les trafics illicites.
L’ensemble des experts VIGISAT s’attachent à analyser et à anticiper les événements pouvant menacer la sécurité des biens et des personnes en mer, pour la défense, le contrôle des frontières et la protection des écosystèmes marins, contribuant ainsi tous les jours à des mers plus sûres.
Le site de CLS Brest héberge la première station du réseau VIGISAT. VIGISAT est une d’acquisition d’images satellites haute résolution détenue et opérée par CLS et des équipes expertes de renom international. Elles animent quotidiennement cette station unique en France et la mettent au service de centaines d’usagers : scientifiques, administrations en charge de la surveillance et de la protection de nos mers et de nos océans, skippers chevronnés en quête de nouveaux records, industriels souhaitant exploiter le vent et faire de nos océans l’un des fournisseurs d’énergies renouvelables.
Bonjour Aymeric Chandouineau et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a conduit à devenir analyste en imagerie radar ?
Je suis un ancien de la Marine nationale où j’ai travaillé en tant qu’analyste traitant dans la fusion de renseignement, intégrant plusieurs capteurs comme l’Open Source Intelligence (OSINT), la guerre électronique (EW), le renseignement d’origine humaine (HUMINT) et le renseignement d’origine spatiale, tout ce qui concerne le renseignement d’origine imagerie. Une fois que j’ai rejoint la Marine nationale, j’ai choisi une voie opérationnelle en optant pour la filière de la détection, ce qui me permettait d’explorer plusieurs passerelles, comme devenir contrôleur d’hélicoptères ou me spécialiser dans l’électromagnétisme, y compris le radar et la guerre électronique, que j’ai finalement choisie. Mon rôle consistait alors à fusionner ces sources pour établir des corrélations et tirer des conclusions sur des événements.
Un moment déterminant pour moi a été lorsque j’ai été muté en Martinique en 2015, où j’ai servi sur la frégate Ventôse en tant qu’adjoint renseignement. J’ai eu aussi l’opportunité de collaborer avec plusieurs agences de renseignements nationales. J’ai également travaillé avec le service de renseignement des douanes, l’OCTRICE, ainsi qu’avec des agences colombiennes et néerlandaises, dans le cadre de missions sur le narcotrafic. Mon rôle consistait à être en contact avec ces agences, à corroborer et à comparer nos renseignements afin d’effectuer un premier tri et de filtrer les informations. Cela nous permettait d’optimiser nos chances d’interpeller les narcotrafiquants.
Quels défis rencontrez-vous régulièrement dans votre travail et comment les surmontez-vous ?
Notre travail se divise en deux phases. La première implique une forte contrainte de temps, car nous devons fournir des images pour l’Agence Européenne de Sécurité Maritime (EMSA) en quasi-temps réel. Cela signifie que nous avons environ vingt minutes pour recevoir une image, la traiter, l’analyser et la renvoyer avec les résultats. Cela constitue un défi important.
Le deuxième défi est lié à un autre contrat que nous avons, notamment le contrat Trimaran. Il est essentiel de comprendre les besoins du client, de le conseiller au mieux et de lui proposer les meilleures acquisitions possibles en fonction de nos fournisseurs. Cela nous permet de répondre précisément aux questions qu’il se pose.
Quels sont les aspects les plus stimulants de votre métier, notamment dans le cadre de la protection de la planète ?
Mon métier a pour objectif la protection de la planète et des océans, mais ce qui me parle le plus c’est la protection et le respect de la loi, en particulier celles des signataires de la Charte de Montego Bay concernant les zones économiques exclusives.
Dans le cadre de notre contrat avec l’EMSA, nous sommes constamment à la recherche de pollution. Nous sommes en mesure de remonter très régulièrement des nappes de pollution auprès de l’Agence européenne de sécurité maritime et des clients comme le Sri Lanka. Par exemple, en février dernier, nous avons été capable de repérer en quasi-temps réel une nappe de pollution grâce à des images satellites. Cela a permis aux autorités de réagir rapidement et d’intercepter le cargo responsable et de lui infliger une amende. Cet impact concret contribue à la dissuasion, même si cela se manifeste souvent par des mesures fiscales.
En outre, dans le cadre du contrat Trimaran, nous travaillons régulièrement sur la protection des ressources en luttant contre la pêche illégale. Nous collaborons avec la Marine nationale pour détecter cette pratique dans des zones éloignées, comme les îles Kerguelen. Nos efforts s’étendent également à d’autres clients, notamment en Thaïlande et en Équateur, ainsi qu’à des partenaires ponctuels en Afrique ou au Congo.
Comment la station VIGISAT contribue-t-elle à votre travail d’analyste ? Quelles sont ses capacités spécifiques ?
Le réseau VIGISAT et la station du même nom implantée à Brest, est la pierre angulaire de notre travail quotidien. Son principal avantage est sa capacité de fournir des images en temps réel. Dès que le satellite est dans la zone de couverture, c’est que nous appelons “le masque » nous pouvons recevoir l’image en direct. En général, il ne s’écoule que 2 à 5 minutes entre la prise de vue de l’image, la réception sur mon ordinateur, sa lecture et son analyse.
Pouvez-vous nous donner un exemple concret de l’utilisation des données radar pour protéger l’environnement ou surveiller les activités maritimes ?
Nos missions dépendent de nos clients, mais nous avons un éventail assez large car nous avons un savoir-faire qui est pour l’essentiel issus du renseignement militaire. La plupart de nos analystes ont une expérience opérationnelle, notamment au sein de la Marine nationale. Cela inclut l’aéronautique, ainsi que les bâtiments de surface et les sous-marins et nous permet de comprendre les réalités de la mer.
Par exemple, nous sommes capables de détecter des icebergs pour des courses comme le Vendée Globe ou le Trophée Jacques Vabre, ainsi que pour des missions dans l’Arctique. En parallèle, nous pouvons mener des enquêtes complètes sur des navires qui ont coulé où suivre des bâtiments impliqués dans le trafic de pétrole ou de gaz naturel liquéfié.
Comment votre travail nourrit-il la solution Maritime Awareness System (MAS) de CLS ?
Nous travaillons 99 % du temps avec MAS, que nous utilisons régulièrement pour mettre à jour nos listes et suivis. MAS place la donnée au cœur des théâtres d’opérations. CLS s’appuie sur cette richesse de données pour développer des algorithmes uniques basés sur des techniques de machine learning et d’intelligence artificielle. Riche de ces algorithmes, MAS offre à ses utilisateurs des fonctionnalités inédites dédiées à l’analyse et à la détection de comportements d’intérêt.
Quelle est la partie la plus gratifiante de votre travail, en particulier dans le cadre de la protection des écosystèmes et de la planète ? Quel projet ou mission dont vous avez fait partie vous rend particulièrement fier ?
Je dirais que la partie la plus gratifiante de mon travail est la détection de la pollution que nous avons réalisée au large du Sri Lanka. Les autorités sri-lankaises nous ont contactés, et des sanctions ont été imposées au niveau local en fonction de la pollution que nous avons détectée. Bien que nous ne recevions pas toujours des retours sur chaque cas, cette situation particulière a été une source de fierté pour moi.
Dans un autre domaine, toutes les investigations que nous menons, en particulier celles liées au suivi de l’activité de pêche, sont également très gratifiantes. Par exemple, nous avons observé des migrations de la flotte de pêche chinoise, qui est extrêmement bien organisée surtout dans le Pacifique. Tout comme pour la détection de pollutions, MAS permet d’identifier les « darks vessels », et ainsi de lutter contre la pêche illégale. Quand vous intervenez au quotidien sur des sujets aussi importants pour la sauvegarde de nos océans, vos missions prennent tout leur sens.
Comment l’intelligence artificielle et l’analyse de données améliorent-elles vos processus de travail ?
Oui, absolument, nous utilisons l’intelligence artificielle pour ce qu’on appelle la détection automatique des bateaux. Par exemple, lorsque nous analysons des images de Sentinel pour l’EMSA dans une zone de trafic très influente, cette technologie nous permet de réaliser des détections automatiques. Dans un seul regard, nous pouvons identifier le pourcentage de fausses détections. Cela nous permet de réduire un processus qui aurait normalement pris une vingtaine de minutes à seulement trois minutes.
VIGISAT et MAS au service de la sécurité maritime
La station VIGISAT de CLS, première station civile française dédiée à la réception d’images satellites radar, est un atout clé pour la surveillance de la Terre et de ses océans. Elle permet d’obtenir des images haute résolution de n’importe quel point du globe.
La solution MAS développée par CLS, système d’intelligence maritime et aide à la décision, extrait et analyse des informations critiques à partir de diverses données, (AIS, SAT-AIS, LRIT, VMS, imagerie optique et radar, données ELINT, bases de données commerciales, etc…), fournissant ainsi une vision complète et temps réel des activités en mer.
Ensemble, ces outils de pointe permettent à CLS de surveiller efficacement les océans en apportant des réponse clés aux autorités maritimes.